Au Mouvement Culturel – Antélias dans le cadre des "Mercredis diplomatiques", le 14 décembre 2011 à 18 heures son Excellence Monsieur Denis Pietton Ambassadeur de France au Liban a donné une conférence, en langue française sous le titre La politique française au Proche-Orient, Dr. Thérèse Douaihy Hatem, secrétaire aux Relations extérieures a animé le débat.
Thérèse Douaihy Hatem
Mesdames et Messieurs,
La tradition française en Orient et son influence politique, économique, commerciale, culturelle et législative remonte très loin dans le passé. Après l'effondrement de l'Empire romain d'Occident (476), les contacts entre l'Europe et l'Orient, et notamment entre la France et l'Orient datent des croisades.
La Renaissance resserre de plus en plus ces contacts, et la tradition française en Orient entre au XVIe siècle dans une nouvelle phase avec le régime des Capitulations. François 1er, en s'alliant aux turcs contre Charles Quint, signa en 1536, avec Soleiman II, dit le magnifique, les premières Capitulations qui, dans ces siècles religieux, reconnurent formellement aux représentants de la France des droits dont celui de protéger les missionnaires, les pèlerins et les chrétiens indigènes ainsi que la liberté de commerce dans l'Empire Ottoman. Les Capitulations furent renouvelées sous Charles IX, et Henri IV fit également honneur à cet héritage. Ses deux ambassadeurs, Savary de Brèves et Gontant Biron, surent faire respecter le protectorat français en Orient.
Au cours du XVIIème siècle, cette tradition perdure et continue avec Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. On note aussi à cette époque l'action de Colbert et la nomination au Levant de représentants diplomatiques permanents: en 1670 ce fut la mission en Orient de l'ambassadeur érudit de Nointel.
La Révolution française, Bonaparte puis Napoléon II renforcèrent le prestige de la France en Orient et au Mont Liban, en témoigne l'expédition politico-militaire de 1860 – 1861, à laquelle fut rattachée l'expédition scientifique confiée à Ernest Renan. Conduite au fil des ans, événement par événement, la tradition française ne montre pas le même intérêt aux problèmes de l'Orient sous la 3ème république. Par contre le XIXe siècle connaît un regain d'intérêt pour l'Orient. Ainsi dans le résumé politique de son "Voyage en Orient" comme dans ses discours à la chambre en 1833 et deux décennies plus tard, Lamartine traite des questions qui étaient à l'ordre du jour, telle que l'avenir des "peuples d'Orient après la décadence de l'Empire Ottoman, la guerre turco-égyptienne et la chrétienté au Liban.
Mais depuis le XIXe siècle trop de bouleversements et d'événements ont secoué notre univers: la grande aventure technologique dans laquelle s'est engagé l'Occident, les deux conflits mondiaux avec toutes les mutations géopolitiques, mentales, idéologiques et techniques qu'ils ont provoquées ou accélérées, et à un autre niveau l'émergence des deux grandes puissances américaine et soviétique et le mouvement d'indépendance nationale qui s'est développé au Levant comme dans l'ensemble du Tiers Monde, ont considérablement transformé le rôle traditionnel de l'Europe et de la France en Orient.
Aujourd'hui un branle-bas vif et violent agite l'Orient: le conflit entre la Palestine et Israël demeure sans issue, les soulèvements populaires prônent la démocratie et la liberté des peuples dans la corne de l'Afrique comme dans les pays arabes, la montée spectaculaire des mouvements islamistes et des courants intégristes font que la conjoncture actuelle s'aggrave. Quelle peut-être la politique française en Orient dans ces circonstances? Son Excellence, Monsieur Denis Pietton, ambassadeur de France au Liban depuis octobre 2009, a choisi de nous entretenir ce soir de ce sujet.
Diplômé de l'Institut d'Etudes politiques de Paris et de l'Institut National des langues et civilisations orientales, M. Pietton rejoint le ministère des Affaires étrangères en 1980. Consul Général à Miami, puis à Jérusalem, ministre conseiller à l'Ambassade de France à Washington de 2002 à 2006 et ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire an Afrique du "Sud de 2006 à 2009, son Excellence est Chevalier de l'ordre national du mérite et Chevalier de la légion d'honneur. Il parle l'anglais, l'arabe littéraire, l'allemand et l'espagnol.
Son activité marquée par le dynamisme et l'engagement se traduit par des actions très diverses et nombreuses qu'elles ne sauraient être retenues lors de cette brève introduction. Rappelons-en les plus récentes, sur le plan économique, l'organisation de l'exposition "Le Liban en France" au Palais des Congrès à Paris ainsi que "La Journée des Banques Libanaises" à Paris aussi. Sur le plan culturel, l'organisation du Salon du livre francophone à Beyrouth avec le Syndicat des libraires et importateurs du livre français ainsi que les différentes activités culturelles de l'Institut Français dans la capitale aussi bien que dans les régions. Sur le plan professionnel et académique, l'Ecole supérieure des Affaires (ESA) les bourses pour les étudiants libanais. Sur le plan politique, son engagement pour les valeurs de la liberté, du développement et du maintien de la paix même au lendemain du dernier attentat perpétré contre une patrouille des Casques bleus français de la Finul, dans la région de Tyr, il y a quelques jours. Hier même M. l'Ambassadeur a signé un protocole d'entente avec le Ministère libanais des Affaires Sociales pour la mise en place du nouveau Fonds social de développement français.
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Optimiste. C’est en ces termes que l’ambassadeur de France au Liban, Denis Pietton, aime se qualifier. Selon lui, « l’optimisme doit être la qualité principale de tout diplomate ». S’appuyant donc sur cette merveilleuse capacité de voir les choses, Denis Pietton a donné hier soir une conférence sous le titre « la politique française au Proche-Orient », dans le cadre des « mercredis diplomatiques », une rencontre organisée par le Mouvement culturel – Antélias.
Pour l’ambassadeur français, « il n’est pas possible de parler aujourd’hui de la politique française au Moyen-Orient sans évidemment mentionner les révolutions arabes ». M. Pietton s’est dit très heureux de faire partie des générations qui ont connu des bouleversements aussi radicaux sur la scène internationale, comme la chute du mur de Berlin et du communisme en Europe de l’Est, et maintenant de voir le monde arabe en pleine ébullition, à travers ce qu’on appelle les révoltes arabes.
« Pour nous, Européens, ajoute Denis Pietton, il y a une certaine difficulté d’appréhender un phénomène qui se manifeste par des révoltes au niveau national et qui ont, chacune, leur particularité, même si on peut établir un lien commun entre elles. Il y a en effet quelque chose de remarquablement spontané dans ce mouvement qui traverse le monde arabe et qui a surpris tout le monde. »
« Ces événements nous ont obligés à réagir très vite », affirme-t-il, tout en admettant que les pays européens ont vécu dans un certain confort, en entretenant de bonnes relations avec des régimes à caractère autoritaire. « Nous avions trop facilement acheté la justification de ces régimes qui souvent consistait à dire que c’est en les soutenant qu’ils préviendront le développement de l’extrémisme religieux », ajoute M. Pietton.
Or, si on regarde ces révoltes, force est de constater que les mouvements islamistes n’ont pas été à l’origine des soulèvements populaires, même s’ils ont sauté dans le train de la révolution plus tard. Sans oublier les revendications sociales, « il est remarquable que ces révolutions soient venues du peuple dans une quête de dignité et de liberté, des termes qui relèvent finalement de la révolution française », a tenu à souligner l’ambassadeur.
Selon lui, les nouveaux régimes qui se mettent difficilement en place vont faire face à une demande sociale extrêmement forte. On le voit en Tunisie où il y a une classe moyenne bien ancrée et en Égypte où la misère reste une question qui concerne toute la société.
« Nous avons dû faire assez rapidement notre aggiornamento face à ce mouvement qu’il ne fallait évidemment pas contester, faisant ainsi “le pari du réalisme”, selon les termes du ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé. »
Wait and see
Il va donc falloir attendre et voir comment les mouvements islamistes vont réagir face aux développements et à la mise en œuvre de la démocratie et l’organisation d’élections libres. « Nous n’avons pas de difficulté de dialoguer avec eux à deux conditions : d’une part, qu’il y ait une claire renonciation à la violence et, d’autre part, qu’ils acceptent les pratiques démocratiques », déclare Denis Pietton.
Des élections ont ainsi eu lieu en Tunisie, en Égypte, mais aussi au Maroc, et l’on voit la victoire de mouvements qui se réclament à des degrés divers de l’islam. Le score élevé des salafistes en Égypte est « important et inquiétant » relève l’ambassadeur français, qui estime toutefois que les autres mouvements islamistes, comme Ennahda en Tunisie ou les Frères musulmans égyptiens, ne sont pas monolithiques (entre la jeunesse et la vieille garde, entre ceux qui se réclament d’une certaine islamo-démocratie à l’image des chrétiens démocrates en Europe, ou ceux qui prennent le modèle turc et d’autres qui ont des positions plus radicales).
« À partir du moment où on accepte les règles démocratiques, qu’on reconnaît la régularité des scrutins qui se sont déroulés, il faut accepter les résultats », estime ainsi le diplomate français, prônant une « vigilance amicale » envers ces nouveaux régimes qui représentent d’une certaine façon peut-être une identité nationale fondée sur l’islam.
Selon lui, il y a des éléments encourageants, puisqu’ils seront obligés de composer avec les autres partis politiques, en cherchant des partenaires pour former une coalition. « Les islamistes entrent forcément dans un processus de négociation avec d’autres formations politiques et c’est tout à fait le jeu démocratique. Du moment où l’on négocie, on fait des concessions », ajoute-t-il, relevant que « le véritable test dans ces pays sera de savoir si une alternance est possible ».
« L’autisme syrien »
Malgré son optimisme affiché, Denis Pietton revient sur la situation dramatique en Syrie.
Selon lui, Paris a toujours eu de bonnes relations avec Damas. Le président Chirac avait assisté aux obsèques de Hafez el-Assad, il avait même reçu Bachar bien avant qu’il succède à son père. En outre, le président Nicolas Sarkozy a voulu rétablir des ponts avec la Syrie après la brouille qui a suivi l’assassinat de Rafic Hariri. Au bout d’un moment, le président français a fait un bilan des relations avec la Syrie et a considéré que Damas n’a pas suivi le chemin espéré tant au niveau régional que bilatéral.
« Là-dessus, la révolte a commencé en Syrie, et on a vu combien la répression est atroce et féroce, et comment le régime s’enferme progressivement dans une impasse que j’ai qualifiée d’une forme d’autisme, surtout quand on entend les propos du président Assad à la télévision américaine récemment. On se demande s’il sait ou s’il veut voir la réalité autour de lui », affirme Denis Pietton, qui se dit heureux de l’implication de la Ligue arabe bien que son action piétine actuellement. « Nous essayons de notre côté de suivre la voie des Nations unies. Malheureusement, un certain nombre de pays, la Russie en tête, ne nous suivent pas », ajoute-t-il, affirmant poursuivre les efforts, n’abandonnant pas l’idée de faire condamner le régime syrien à l’ONU.
Le scandale palestinien
Concernant le dossier israélo-palestinien, l’ambassadeur français, qui était consul général à Jérusalem, affirme que le dossier palestinien lui tient à cœur, lui qui a vu les méfaits de la colonisation qui menace sérieusement de couper la Cisjordanie en deux, entraînant une impossibilité d’avoir un territoire contigu et donc cohérent pour un État palestinien. Selon lui, le « scandale du dossier palestinien est que tout le monde connaît la solution, alors que malheureusement la communauté internationale n’a pas été capable d’imposer une solution ». Il faut forcément une intervention internationale pour aboutir à une paix, car le problème est que les deux parties ne peuvent pas se mettre d’accord toutes seules, estime Denis Pietton, qui estime qu’aujourd’hui Israël est de plus en plus isolé, surtout avec les révoltes arabes et l’arrivée au pouvoir des islamistes qui aura sûrement un impact sur l’État hébreu. Selon lui, la France a pris ses responsabilités en votant en faveur de l’admission de l’État de Palestine à l’Unesco, tout en appelant le président palestinien Mahmoud Abbas à aller devant l’Assemblée générale des Nations unies et non pas au Conseil de sécurité où un veto américain l’attend.
L’ambassadeur français a terminé son intervention sur l’Union pour la Méditerranée (UPM). « C’est une idée qui reste visionnaire malgré les déboires qu’elle a subis parce que l’avenir de l’Europe, et en tout cas l’avenir de la France, passe par sa relation avec les pays méditerranéens. C’est l’enjeu de la nouvelle génération », conclut-il.