AMIN MAALOUF : ITINÉRAIRE D’UN HUMANISTE ÉCLAIRÉ
Auteur – Joseph Maalouf
Mot prononcé par Pr Hoda Nehmé
Mot prononcé par Dr. Thérèse Douaihy Hatem
Mot prononcé par Dr. Claudia Chamoun Abi Nader
Doyen de la Faculté de Philosophie
et des Sciences humaines - USEK
13 janvier 2013
Il m’échoit ce soir l’honneur et le plaisir de porter une réflexion sur le dernier ouvrage de mon collègue et ami, Dr Joseph Maalouf, professeur, philosophe, écrivain ; fin érudit et une figure emblématique de la seconde génération nahdaouiste qui a hissé la pensée arabe à l’échelle de la pensée universelle.
« Amin Maalouf : Itinéraire d’un humaniste éclairé » se veut une revisite de l’ensemble de l’œuvre d’Amin Maalouf, un déplacement d’un ouvrage à un autre, en quête inlassable du fil conducteur de l’objet principal de la réflexion d’Amin Maalouf.
Evidement Joseph Maalouf n’a pas parcouru en amateur les écrits de Amin Maalouf ; mais bien en examinateur et en chercheur raffiné qui, pour des raisons incontestablement scientifiques et éthiques, a voulu repérer, dans cette œuvre colossale, riche et variée, une problématique à la taille de l’homme, une question qui interroge la conscience de l’humanité et qui interpelle les gens de conscience droite pour se mettre à l’œuvre et se dépêcher de concevoir des systèmes de vie fondés, ici et là, sur la reconnaissance des différences, l’égalité des hommes et la promotion d’un monde pluraliste qui s’engagerait à saper le mur de la détestation entre occident et orient, entre les religions, entre majorité et minorité, entre races, ethnies et cultures… et qui défierait la thèse du choc civilisationnel, cheval de bataille des bâtisseurs du Nouvel Ordre Mondial, en faveur de la thèse humaniste de Amin Maalouf, rejetant toute hétéronomie par souci d’objectivité et de précision pour sauvegarder la dignité humaine.
Penseur pétri par la raison, Joseph Maalouf trouve dans Amin Maalouf cet esprit libre qui n’a fait des concessions à personne…
L’auteur divise son approche en 3 volets :
1. L’humanisme dans les romans d’Amin Maalouf
2. De l’identité meurtrière à l’identité humaniste
3. Pour une éthique de responsabilité envers le futur.
Lorsque nous terminons la lecture de l’ouvrage de Joseph Maalouf nous constatons sa valeur culturelle et sa fidélité aux valeurs humanistes, parce que l’auteur s’est penché sur l’œuvre impartiale d’Amin Maalouf pour en tirer une philosophie pour notre temps. Le lecteur, même averti, n’aurait pas probablement, d’un livre à un autre, pu percevoir avec autant de clarté ce message subtil qui fut et le demeure la raison de vivre d’Amin Maalouf et sa raison d’écrire :
a. détruire ce sentiment « d’être irréversiblement étranger » qui n’est pas sans rapport avec son appartenance à une « communauté marginalisée » au cœur d’un pays essentiellement pluriel comme le Liban… et avec toute petite communauté au sort tragique dans n’importe quel pays du monde musulman ;
b. mener une lutte sans merci contre les identités meurtrières pour sauver l’avenir de l’homme éthiquement et dignement ;
c. mettre fin à l’affrontement civilisationnel ;
d. instaurer une paix fondée sur le respect mutuel et l’histoire culturelle…
Le parcours de Léon l’Africain, à Samarkand, au Jardin des lumières, aux Echelles du Levant, aux Origines, n’est pas tâche facile.
Merci à Joseph Maalouf de livrer aux lecteurs un travail soigné, précieux, objectif, mesuré et de leur donner envie de lire ce qu’ils n’ont pas encore lu de l’œuvre d’Amin Maalouf…
L’ouvrage ne cerne pas l’œuvre d’Amin Maalouf dans un corpus qui prétend l’avoir exploitée dans ses moindres détails.
Au contraire, par sa finesse intellectuelle, par son sens culturel et humaniste, Joseph Maalouf a pioché dans le terrain d’Amin Maalouf, exploré, investigué cherché à comprendre, à relier, à saisir cette idée fondatrice de l’œuvre, et tracé de pistes de réflexion qui font appel éventuellement à un continent de recherches pour rendre hommage à un grand comme Amin Maalouf.
Ce qui est pertinent dans l’ouvrage de Joseph Maalouf c’est ce pèlerinage sur les sentiers battus par Amin Maalouf, non pour le contredire ou le contrecarrer ou pour en faire l’éloge ; mais pour mettre à l’épreuve la suprématie de la raison qui reste, contre marées et vents, l’outil par excellence pour la progression de l’humanité, la restitution du dérèglement de notre monde, la rectification du tir pour le nombre grossissant des « désorientés » qui peuplent la planète terre et pour la résurgence d’une valeur universelle qui est l’humanisme.
Beaucoup d’entre nous oseront dire « de quel humanisme s’agit-il ? » ou « qui parle d’humanisme encore à l’ère de la globalisation qui rend indéfectibles les maillons de l’effondrement civilisationnel, immuable la fracture entre occident et orient ou, plus précisément, entre Occident et Islam, et presque inexistantes les passerelles communes ou les souffrances partagées ?
Nous ne pouvons pas négliger de telles interrogations mais aussi nous ne saurons pas baisser les bras et tolérer l’intolérable ; soit accepter un mode de gestion sociale qui supprime l’autre différent ou l’autre minoritaire… Il nous faut penser le monde avec des schèmes nouveaux.
À commencer par reconnaître que celui que je considère « l’autre », lui aussi à son tour, me considère l’autre « autre » et se donne toutes les raisons pour me supprimer ou me négliger, ou pour me nantir de cet exécrable sentiment d’être incessamment « étranger » et « refusé »…
Amin Maalouf, dans le sillage de la réflexion humaniste issue des Philosophes des Lumières, applique leur devise qui « consiste pour l’homme à sortir de la minorité où il se trouve […] à avoir le courage de se servir de son propre entendement […] et à voir l’humanité chez les autres comme une fin et jamais comme un moyen… »
Au terme de son pélerinage culturel, Joseph Maalouf est certain qu’Amin Maalouf a promu, dans tous ses essais, « l’exigence de la reconnaissance » entre les différentes sociétés humaines ; et proposé tous les ingrédients indispensables à l’être humain pour rendre possible son élévation au-dessus de l’hostilité, du fanatisme et de l’ostracisme.
Preuve en est, le choix des personnages – héros et leur contexte historique et géographique.
L’originalité d’Amin Maalouf est dans ce vaste paysage humain qu’expriment des figures inoubliables, susceptibles de prouver que les valeurs sublimes ne sont pas le propre de l’Europe ou de l’Occident, mais aussi celles de l’Andalou Hassan El Wazan ou Léon l’Africain ; du persan Omar El Khayyam, de Mani, d’Osseyane, et de bien d’autres…
Au moment critique de l’histoire de l’Andalousie, à l’heure d’une fin tragique du dernier bastion des musulmans en Espagne, loin de nourrir la haine, Léon l’Africain observe, scrute, examine et adopte une position rationnelle, outrepassant ses sentiments, ses souvenirs, ses émotions et jugeant le triomphe de l’Europe au XVIe siècle sur Grenade pour avoir, cette dernière, manqué son rendez-vous avec l’essor scientifique et pour avoir suspendu la circulation des livres parmi les hommes, … et de conclure : en faisant de la tradition une citadelle où s’enferme la population, les musulmans ont favorisé l’émergence et l’expansion d’un fossé scientifique entre eux et le monde occidental. Alors que Léon l’Africain a compris que les raisons qui déclenchent une guerre entre les sociétés différentes et ∕ ou complexes, ne sont pas nécessairement d’ordre religieux, et suite à son séjour accidentel à Rome, Léon dit : « j’avais trouvé dans la Rome chrétienne le calife à l’ombre duquel j’aurais tant voulu vivre à Baghdâd ou à Cordoue ».
Il est aisé de constater que « l’esprit qui détient les rênes de l’histoire, selon le système de Hegel, au cours de laquelle il fraie son chemin pour se réaliser, émigre d’une civilisation à une autre, chaque fois que l’une ou l’autre sombre dans la monotonie et l’uniformité ».
Aujourd’hui à l’ère turbulente d’ISIS et de tout ce qui l’accompagne comme système de pensée monotone et uniforme… que de « Léons » sont en voie d’émigration d’une civilisation à une autre, non parce que l’Islam est une religion fatale mais parce que les Isisiens la réduisent à une dimension chétive qui lui arrache tout son rayonnement culturel, humaniste et civilisationnel…
Ce climat obscurantiste qui frappe d’abord les musulmans d’un ostracisme tragique, ne saurait, quelle que soit la force qui le sous-tend, évacuer les « Léons » de la communauté des Croyants et en faire des Infidèles et des Impies.
C’est le Léon croyant d’hier et les Léons croyants d’aujourd’hui qui prônent la suprématie de la Raison et qui se reconnaissent de toutes les civilisations du monde et qui savent imposer les exigences de la reconnaissance des autres et des différences culturelles…
Et si l’on s’interroge sur la vérité et si on essaie, dans un monde de signes, de faire abstraction de l’expérience de chaque religion avec Dieu et du respect dévolu aux expériences des autres religions, nous contribuons sciemment à l’expansion du spectre du fondamentalisme et nous favorisons, de plus en plus, la résurgence du Jihad et des Croisades, attitudes vues par Léon l’Africain comme une dégradation pure et simple de la religion et de la dimension religieuse de l’homme… Une telle position signifie que le monde musulman n’est plus dans une position défendable lorsqu’il s’en prend aux croisades alors que l’esprit du Jihad n’est pas pour autant étranger à celui des Croisades… ou différent…
S’obstiner donc à donner au jihad une dimension divine signifie finalement mettre la bonté et la justice de Dieu en cause.
Au travers Léon l’Africain, Joseph Maalouf est allé dans les confins de l’esprit d’Amin Maalouf, recueillir tant d’éléments pour prouver que l’humanisme est une Philosophie qui réunit tous ceux qui ont saisi, où qu’ils soient et quelle que soit leur origine, leur religion ; leur race ou leur langue, que l’être humain se mesure par sa raison, son savoir, sa culture et par sa reconnaissance du droit à la différence… Les concepts forgés depuis des milliers d’années, les maîtres mots d’un vocabulaire « jihadiste » ou « croisade » ; infidèle ou croyant, deviennent des phénomènes désuets, arrogants et portent atteinte à la religion qui continue à les mettre en exergue, à les adopter et à réduire Dieu à la dimension d’une idéologie caduque; pire encore d’en faire un Injuste….
Joseph Maalouf exploite chez Amin Maalouf cet hymne à l’humanisme fin qui perçoit l’autre dans sa réalité profonde et non dans sa réalité fabriquée à la taille de l’injustice, de l’exclusivisme, ou du réductionnisme… Si Amin Maalouf n’a pas rejeté la religion, il l’a au moins invitée à s’interroger sur son passé, son histoire pour pouvoir brandir la justice, l’amour et le respect mutuel.
Dans cette entreprise si précieuse de Léon l’Africain à Botros Maalouf nous accompagnons Joseph Maalouf dans cet élan remarquable sur les sentiers humanistes d’Amin Maalouf…
À l’affût de chaque phrase, de chaque vers, de chaque idée, de chaque réflexion pertinente, de chaque incident, Joseph Maalouf nous offre une excellente analyse de l’œuvre d’Amin Maalouf, en quête d’humanisme et, de surcroît, une stratégie d’écriture qui vise, au départ, à projeter, à l’aube du 3e millénaire, une image différente du monde musulman, de le hisser au rang de l’humanisme sincère et authentique, de l’arracher au conformisme religieux qui lui colle à la peau… Amin Maalouf fait de Omar El Khayyâm, le missionnaire humaniste dans un monde musulman ensanglanté…. De Mani le précurseur du pluralisme religieux qui a payé de sa vie la rançon de la rancune et des esprits racornis par le fanatisme…
Et Ossyane, le connaissez-vous ? C’est l’histoire du Turc qui se lie d’amitié indéfectible avec l’Arménien à un moment insolite de l’histoire.
C’est curieux comment Amin Maalouf lutte contre le passéisme actuel par ce retour constant au passé pour en extraire des figures emblématiques qui servent de modèles de tolérance, de savoir-être et de savoir-être avec…
Il s’agit d’une autre forme de retour aux sources dont le but ultime est de montrer que le monde musulman dont le Moyen Orient n’est pas aussi fatidique qu’on le pense…. Mais ce qui nous importune et nous laisse dans le désarroi c’est ce besoin récurrent de puiser dans le passé pour affirmer que l’humanisme fait partie de notre patrimoine culturel et civilisationnel… Force est de constater qu’Amin Maalouf puise ses sujets dans l’histoire et prend soin que l’humanisme soit la toile de fond de chaque ouvrage ou essai.
Joseph Maalouf habille Amin Maalouf d’un vêtement prophétique et il n’a pas tort… Certes, c’est une prophétie qui émane de l’expérience de l’Homme… de sa maturité… de son âge de raison… Elle émane des guerres, des conflits absurdes, des idéologies religieuses ou politiques… elle provient aussi de faits que les discours de l’ONU ou des grandes puissances ne peuvent occulter, tels que les exodes des minorités ici et là, et les menaces qui terrorisent les chrétiens d’Orient et réveillent dans la mémoire collective des communautés minoritaires, 1840, 1860, 1909, 1915 et le chapelet n’est pas dévidé…
Quelle est la prophétie d’Amin Maalouf ? L’Occident a certes semé la peur dans les populations musulmanes, mais la violence que mettent les musulmans au-devant de la scène pour défendre leur foi, ciment de cohésion nationale, est une forme de régression qui ne confère pas au monde musulman la possibilité d’égaler l’occident, de favoriser le dialogue ou d’entrer dans la modernité…
1. La supériorité de l’occident dérange le monde musulman, mais la violence au nom de la religion est-elle une raison suffisante pour s’imposer en société capable, forte, reconnue, respectée et non sujette ?
Amin Maalouf trouve que le monde musulman a besoin de philosophes plus que d’ulémas ; et de science plus que de vantardise à noter que de nos jours très peu de gens passent d’une religion à une autre mais nombreux sont ceux qui deviennent des agnostiques.
2. La religion est une approche particulière du divin et non une appropriation de Dieu et il serait de grande utilité que de recourir au message de Mani pour tirer une leçon du respect mutuel :
« Je me réclame de toutes les religions et d’aucune. On a appris aux gens qu’ils devaient appartenir à une croyance comme on appartient à une race ou à une tribu. Et moi je leur dis : on vous a menti. En chaque croyance, en chaque idée, sachez trouver la substance lumineuse et écarter les épluchures. Celui qui suivra ma voie pourra invoquer Ahura-Mazda et Mithra, et le Christ et le Bouddha »… (J. Lumières, p. 57).
3. La guerre ne doit point se faire au nom de Dieu, l’anthropomorphisme de ses auteurs ne font que défigurer la religion jusqu’à la rendre méconnaissable.
4. Le minoritaire dans une société n’est pas le citoyen entièrement à part… Il a droit de cité et lorsque ce droit lui est arraché, le sectarisme et l’exclusivisme causent à la communauté minoritaire, menacée dans ses origines comme dans ses racines, un déchirement obsessionnel… sans compter le goût amer de l’appartenance et son coût au prix de sang et de larmes…
En guise de conclusion, je pourrai avancer qu’Amin Maalouf habite Joseph Maalouf et dans une perspective nahdaouiste je pourrai aussi ajouter qu’Amin Maalouf est le couronnement de toute une dynastie nahdaouiste née dans la 2e moitié du XIXe siècle, qui a traité la question de l’appartenance à la nation, fixé les paramètres identitaires, combattu le sectarisme, diffusé un esprit humaniste qui favorise la promotion de l’égalité, la liberté et la fraternité entre citoyens indépendamment des questions de minorité et de majorité, des question ethniques et confessionnelles, favorisé la séparation du temporel du spirituel en matière de gestion d’Etat, et développé le multiculturalisme comme pont de ralliement entre les cultures…
A l’instar des premiers nahdaouistes, Amin Maalouf et l’auteur de son itinéraire humaniste, n’ont pas occulté le problème le plus crucial dans la vie des chrétiens d’Orient : leur citoyenneté. Sont-ils des citoyens à part entière ou des citoyens entièrement à part ?
Seront-ils appelés à lutter incessamment contre l’hégémonie et à s’indigner d’une protection condescendante ?
Le chrétien peut-il espérer dans un Etat modernisé d’avoir sa place entière de citoyen sans avoir à payer, tout au long de sa vie, le prix de sa naissance…
Tant de problèmes interrogent Amin Maalouf…. Les massacres de 1909 se multiplient en 2015…l’ignorance, la corruption, le fanatisme battent leur plein… la mondialisation n’est plus seule capable de diluer des spécificités… le monde musulman évacue les yézédites, les assyro chaldéens, et d’autres chrétiens ici et là… et toutes ces scènes tragiques et désastreuses se passent à l’ère des Droits de l’homme et de la protection des patrimoines… Toute une escalade non humaniste : Mondialisation et fondamentalisme, deux machines qui broient des cultures et des sociétés, qui détruisent l’histoire humaine, deux formes de barbarie, l’une au nom de la démocratie et l’autre au nom de la religion, secouent l’humanité de l’homme.
Qu’apporte Joseph Maalouf encore au legs culturel d’Amin Maalouf… ?
Joseph Maalouf met l’accent sur un autre message sublime proposé par Amin Maalouf comme solution future : une résistance culturelle faite d’une échelle de valeurs fondée sur la culture, sur la reconnaissance de la diversité culturelle, encore une fois sur le savoir sortir de la minorité ethnique, religieuse, linguistique et culturelle à laquelle nous appartenons pour sauver le XXIe siècle et arracher l’humanité à son marasme actuel…
Amin Maalouf invite les sociétés à connaitre deux et 3 langues au moins, à découvrir la culture d’autrui, à repérer « l’esprit d’un peuple » et à l’apprécier en tant que vecteur de culture et de savoir spécifiques.
Ce brassage linguistique et culturel permet de hisser des langues au rang de l’humanisme et de leur donner l’occasion d’intégrer des concepts nouveaux, de se familiariser avec le dialogue interculturel et d’éviter toute forme de purification ethnique, religieuse, linguistique ou culturelle…
C’est dans le respect de toute culture, si minime soit-elle, que l’universalisation de l’éthique sera possible car chaque culture sera perçue comme une part du patrimoine culturel universel…
En véritéle triangle humaniste de Amin Maalouf : Ethique, Culture, Identité ; est un message à trois pôles qui font défaut dans le monde musulman, dont le Moyen Orient, devenu une excellente matrice d’identités meurtrières…
L’intention d’Amin Maalouf c’est de dire qu’il est vrai que l’ingérence occidentale a pesé sur la conscience du monde musulman, mais il est vrai aussi que le fond du problème entre Orient et Occident réside dans une vision culturellement différente entre les deux mondes…
L’objectif d’Amin Maalouf est d’inviter l’homme dans le monde musulman à raisonner, expérimenter, transformer, devenir la référence de toute chose et faire avancer les choses de la vie, au lieu d’accuser désespérément les autres, d’adopter la violence comme seul moyen de dialogue. Le monde musulman ne doit plus manquer le coche au cours de l’Histoire moderne et post-moderne.
Où Joseph Maalouf voudrait-il arriver ?
Il est temps dans notre monde arabe et islamique de donner une place aux grands de notre société, de leur réserver des pages dans notre système éducatif préuniversitaire et universitaire, d’édifier des centres de recherche en leur nom, de leur dédier une bibliothèque universitaire… ou nationale… d’imprimer des timbres qui reproduisent leur nom, les titres de leurs ouvrages… Mettre en place des programmes qui diffusent les maîtres mots et pensées d’un vocabulaire humaniste…
Dans l’espoir qu’un jour les jeunes générations pourront voir un maître à penser devenir la référence dans le monde arabe et islamique, je vous remercie de votre écoute.
-----------------------------------------------
Mot prononcé par Dr. Thérèse Douaihy Hatem à l'occasion de l'ouvrage du Dr. Joseph Maalouf
Mesdames et Messieurs,
Merci de venir partager ce soir, des réflexions sur le livre de Dr. Joseph Maalouf, intitulé "Amin Maalouf – Itinéraire d'un humaniste éclairé", sorti récemment chez l'Harmattan, dans la collection " فكر– Pensée religieuse et philosophique arabe". Cette collection, telle qu'elle est présentée par son directeur, Dr. Antoine Fleyfel, se veut "un espace de réflexion qui traite des problématiques religieuses et philosophiques majeures du monde arabe contemporain". Et dans ce domaine, les deux Maalouf ont bien des mots à dire et des convictions à affirmer.
Succinctement, je tenterai de présenter l’essai de Dr. Maalouf dans sa composition et ses grands axes comme cadre de cette intervention avant de donner la parole à Mesdames les intervenantes qui dépouilleront le texte dans ses significations les plus profondes.
Trois parties d'égale importance constituent l'étude. Tout au long de la première partie, et sous le titre "L'humanisme dans les romans d'Amin Maalouf", Dr. Joseph Maalouf suit les personnages à travers les constructions savantes de chacun des romans, dévidant la pensée du grand humaniste contemporain Amin Maalouf nourri des grandes valeurs, de la Renaissance et du siècle des Lumières. La dimension humaniste qui sous-tend les romans d'Amin Maalouf est portée tour à tour par les personnages auxquels il s'identifie : Hassan Al- Wazzan "ancêtre de l'humanité cosmopolite d'aujourd'hui’, Omar Khayyam "modèle de tolérance et d'esprit critique", aussi bien que par Mani modèle du pluralisme religieux qui "se réclamait de toutes les religions et d'aucune", par Ossyane "l'humaniste désabusé " et Botros Maalouf, esprit libre et révolté de la renaissance du Levant qui espèrait "combattre le sectarisme et le confessionnalisme et promouvoir les valeurs de l'humanisme pour plus de liberté, d'égalité et de fraternité".
La deuxième partie "De l'identité meurtrière à l'identité humaniste" ainsi que la troisième partie qui se veut "Pour une éthique de responsabilité envers le futur", découvrent l'unité profonde de la pensée de Maalouf dans ses lignes de force: l'humanisme, la tolérance, le pluralisme et l'esprit critique. L'ensemble de ces valeurs constitue une leçon de vie, une leçon de philosophie politique: comprendre les différences entre les hommes, propager le pluralisme et le respect des cultures et des identités, avoir le sens du relatif dans l'Histoire aussi bien que dans la vie quotidienne. L'essai de Dr. Maalouf s'achève sur un extrait du discours d'Amin Maalouf à l'Académie française où il redit sa détermination de saper "le mur de la détestation" entre les peuples, les religions et les univers culturels en Méditerranée, "et de contribuer à le démolir" par l'écriture.
La lecture de cet essai revêt une dimension d'une anpleur autrement intéressante avec la montée spectaculaire des actes de violence les plus sanglants et les plus barbares que la France vient de connaître et qui font rage en Orient et au Liban, où le crime est enveloppé d'épouvante et où est ressentie plus proche et plus constante que partout ailleurs la menace de la mort.
On se retrouve au cœur des conflits idéologiques et philosophiques, religieux et politiques qui secouent notre siècle comme ils l'avaient fait du siècle passé et de ceux depuis longtemps révolus. Maalouf s'élève contre la réalité contemporaine. Quant à la condamnation de la violence et de "la guerre, canal de toutes les injustices" comme le disait Cyrano de Bergerac "Au royaume des oiseaux", on sait assez que ce thème, cher aux humanistes du XVI siècle sera repris par la Bruyère et Fenelon, avant de devenir un des motifs principaux des philosophes du XVIII siècle et d’être repris dans l’œuvre d'Amin Maalouf. L'intolérance à travers les siècles, l'auteur l'analyse comme un abus contraire à l'enseignement religieux et contraire aussi au droit, à la raison et à la sensibilité humaine. De la tolérance intercommunautaire, il faut s'élever à la tolérance universelle sans distinction de race ni de confession. D'après lui, l'incapacité des hommes à trouver la vérité et à résoudre les énigmes qui les accablent, la stérilité des luttes entre sectes religieux ou systèmes de pensées doivent conduire logiquement et pragmatiquement à la tolérance. Montaigne et le parti des Politiques étaient déjà parvenus à cette conclusion dans la période des guerres de religion en France depuis le 16eme siècle. Locke l'avait traité dans sa "Lettre sur la tolérance" en 1699, et Voltaire le maitre a penser de l’Europe du 18eme siècle dans "Le traité sur la tolérance" en 1763, pour ne donner que ces quelques exemples. Amin Maalouf, dans un suprême effort pour alerter la conscience universelle, et dans son attitude d'homme aux idées lumineuses et à l'esprit sage, pose ce problème majeur en termes de plus en plus nets dans l'espoir que le progrès de la raison dégagerait les consciences d'un conflit millénaire qui n’a cessé de brouiller la relation entre les esprits libres et les conservateurs.
13 janvier 2015
-----------------------------------------------
Mot prononcé par Dr. Claudia Chamoun Abi Nader à l'occasion de l'ouvrage du Dr. Joseph Maalouf
“Amin Maalouf, itinéraire d’un humaniste éclairé”. Le mot-clé dans ce titre est “humaniste”. Il serait bon de rappeler le sens de ce terme.
“Un humaniste est un individu correctement instruit, libre et pleinement responsable de ses actes. Il prône les notions de liberté ou libre arbitre, de tolérance, d’indépendance, d’ouverture et de curiosité intellectuelle.
Par extension, on désigne par “humanisme” toute pensée qui met au premier plan de ses préoccupations le développement des qualités essentielles de l’être humain. L’humanisme implique un engagement à la recherche de la vérité et de la moralité, en solidarité avec l’humanité.
Mon intervention porte uniquement sur la deuxième partie de l’ouvrage de Dr. Joseph Maalouf, intitulée “De l’identité meurtrière à l’identité humaniste” et qui analyse les deux essais d’Amin Maalouf: “Les Identités meurtrières” et “Le Dérèglement du monde”, qui mettent en relief et au-devant de la scène mondiale une inquiétante “frénésie identitaire”.
Dans ce contexte, oh combien épineux et semé d’embûches, l’auteur passe en revue l’analyse d’Amin Maalouf, dans les moindres détails; et tout en vulgarisant cette approche socio-politique, il l’enrichit de son éducation philosophique, sociologique et religieuse.
Le “nouveau désordre mondial”, ou “le désenchantement du monde” selon l’expression de Marcel Gauchet, dénonce l’aveuglement et l’épuisement simultané des civilisations occidentales et arabo-musulmanes, sans pour autant réfuter la possibilité de l’émergence d’un monde meilleur.
L’identité pluraliste entame l’argumentation de Dr. Maalouf. Les notions d’identité et d’appartenance sont largement développées “chacun d’entre nous devrait être encouragé à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme la somme de ses diverses appartenances” (Amin Maalouf). Cependant dans le “repli communautaire”, l’appartenance, religieuse prend le dessus sur la citoyenneté, à titre d’exemple, le conflit sanglant dans le monde musulman entre Sunnites et chiites. Amin Maalouf dénonce ouvertement les manipulations des pays occidentaux, et leurs ingérences dans la vie des Arabes musulmans. Mais en contrepartie, il inculpe le monde arabe qui n’est pas aussi innocent qu’il le prétende “lorsqu’un militant Sunnite se met au volant d’un camion piégé pour aller se faire exploser sur un marché fréquenté par des familles chiites, et que ce massacreur est appelé “résistant” […] il ne sert à rien d’accuser “les autres” (Le D. du M. p. 267).
Quant au conflit israélo-palestinien, Amin Maalouf ne lui trouve de solution que dans le partage équitable de la Palestine; solution utopique et même inconcevable!
La conception “tribale” de l’identité, à n’en pas douter même à toutes sortes de dérives.
Le déchaînement identitaire demeure un avatar de la mondialisation. Qu’on l’admette ou qu’on la rejette, sa réalité est irréfutable. La mondialisation est cependant, même aux yeux de beaucoup d’européens, une américanisation en bonne et due forme. Cette hégémonie à distance a été à la source de la naissance et de la généralisation du communautarisme. Face à l’uniformisation à l’échelle internationale, Amin Maalouf convie à une interaction bienveillante entre les civilisations, une “réciprocité” opérationnelle.
Cependant, “A l’ère de la mondialisation […] Nous ne pouvons nous contenter d’imposer aux milliards d’humains désemparés le choix […] entre l’intégrisme et la disintegration” (Amin Maalouf. Les I.M. p. 44).
Dans ce contexte, Dr. Maalouf a intitulé son troisième chapitre “Immigration, acculturation et pluralisme”.
Amin Maalouf, en tant qu’Oriental vivant en Occident, un Chrétien arabe, minoritaire dans un Proche-Orient majoritairement musulman a le sentiment, d’être “irrémédiablement minoritaire”, “irrémédiablement étranger”, ce qui l’a poussé à dire “D’où ma rage à vouloir que le monde entier ne soit fait que d’étrangers et de minoritaires”.
D’autre part, il a soulevé le problème de la xénophobie, et de l’islamophobie qui constituent désormais un véritable problème européen, auquel fait face un véritable déchirement identitaire de la part des immigrés “condamnés, comme il le dit, à trahir soit leur patrie d’origine, soit leur patrie d’accueil” (I.M. p.48), et l’on assiste impuissants à la naissance des revers des identités qui ne tarderaient pas à se muer en identities meurtrières. La solution miracle serait possible dans une cœxistence harmonieuse; et d’ajouter que la rencontre reste possible, malgré le fossé et les errements souvent tragiques de l’histoire.
Amin Maalouf s’est demandé si l’islam est incompatible avec la modernité, et d’ajouter “pourquoi la modernité occidentale a-t-elle réussi dans certains pays et a échoué dans d’autres, en l’occurrence dans le monde arabe? L’Islam est-il incompatible avec la liberté, avec la démocratie, avec les droits de l’homme et de la femme? Il finit par certifier que “les sociétés dynamiques se reflètent en un islam […] innovant, créatif, les sociétés immobiles se reflètent en un islam […] rebelle au moindre changement” (I.M. p. 324). Il finit par inviter les Arabes, à se moderniser sans rejeter leur identité et leur culture.
Le cinquième chapitre intitulé “Tolérance et humanisme”, lie ces deux termes à l’égalité, à la justice, à la dignité et l’universalité des droits de l’Homme, comme à la liberté de penser, de conscience et de croyance.
“Amin Maalouf affirme que la mondialisation a mondialisé le communautarisme” et favorisé les “tribus planétaires”. D’où “le double mouvement de cloisonnement et de décloisonnement, [et qui] n’est pas le moindre des paradoxes de notre époque” (Le D. du. M. p. 265-266). Il finit par clamer la nécessité d’une éducation pluraliste et humaniste, et inviter à la réconciliation, à la réunion, à l’apprivoisement et au pacifisme.
Le chapitre sept évoque l’échec du confessionnalisme libanais et montre les limites du système des quotas, et du communautarisme.
Le dernier chapitre avance la vision salutaire d’Amin Maalouf basée sur “un humanisme européen plus tangible”.
Désormais deux attractivités se partageront le monde: l’imitation de l’Europe et, comme le dit Dr. Maalouf, de son grand avatar, les États-Unis. Cependant l’Europe devrait réhabiliter sa crédibilité morale, et forger une “éthique de responsabilité”.
Amin Maalouf est bel et bien un grand humaniste. Il s’indigne lorsque l’affirmation de soi va si souvent de pair avec la négation de l’autre.
En humaniste éclairé et de par sa responsabilité, il recherche des solutions possibles qui passent évidemment par la culture. Il fait l’apologie de la tolérance, de l’humanisme et de la liberté, et pousse l’homme contemporain à se remettre en question et essayer de comprendre l’Autre, de l’accepter tel qu’il est, Il déplore les crispations identitaires et l’abandon des valeurs, et se rend compte que dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, on préfère se dire que les problèmes viennent forcément de l’autre, car il est différent et qu’il vient d’ailleurs. Mais, en parlant des autres, il ne faut jamais perdre de vue que nous-mêmes, qui que nous soyons, où que nous soyons, nous sommes aussi les autres pour tous les autres.
Les essais d’Amin Maalouf sont un plaidoyer pour l’humanisme et l’humanité qui refuse toutes sortes d’extrémismes et milite pour la modération.
Dans le monde de la globalisation, la furie identitaire a supplanté l’affrontement idéologique; état de fait déplorable, voire gravissime.
Et “Les identités meurtrières”, essai ouvert au monde, avait déjà posé en 1998 des questions qui de nos jours n’ont pas encore de réponses. La clairvoyance d’Amin Maalouf a pu prévoir la menace qui couve de l’intégrisme religieux. Et il rappelle que dans le monde musulman c’est la politique qui instrumentalise la religion. Quant aux dirigeants des pays arabes, ils sont acculés à adopter un choix sans issue; s’ils s’opposent aux diktats de l’Occident, ils risquent de perdre leur légitimité internationale et s’ils s’en accommodent, ils perdent celle que leurs peuples a octroyé.
L’attitude compréhensive d’Amin Maalouf n’entache nullement son objectivité. Il finit par renvoyer dos à dos toutes les religions, l’Occident et l’Orient. Son intégrité le pousse à dire dans son discours à l’Académie française:
“Un mur s’élève en Méditerranée entre les univers culturels dont je me réclame. Ce mur de la détestation, entre Européens et Africains, entre Occident et Islam, entre Juifs et Arabes – mon ambition est de le saper, et de contribuer à le démolir. Telle a toujours été ma raison de vivre, ma raison d’écrire”.
Cette profession de foi d’Amin Maalouf est un hymne à la gloire de la dignité humaine. Et c’est dans cet esprit que Dr. Joseph Maalouf a rédigé son ouvrage “Amin Maalouf, itinéraire d’un humaniste éclairé”.
Cher cousin, cher collègue, votre pensée humaniste, votre plume, tout comme votre culture, oh combien riche, ont donné de nouveaux horizons aux essais d’Amin Maalouf.
Dr. Joseph Maalouf, votre ouvrage ne laissera aucun lecteur indifférent, et je ne saurais que trop conseiller sa lecture.